LE REBUS A BON DOS - Ch 1 -
Avant le départ
Europole, c'est vendredi sur Lyon, la Saône coule
grise, Fourvière, dont je peux voir une des tours sortir
faiblement du brouillard rampant sur les quais de Rhone et Saône.
Vivement le troisième fleuve ce soir avec les potes : le
Beaujolais.
- Aït Ouali, tu peux venir ?
Mon chef m'appelle. Qu'est ce qu'il peut bien me
vouloir à cette heure. Je vais encore prendre le périph
en retard.
- Oui, chef, je ferme et j'arrive.
Le bureau de mon chef est juste à côté
du mien en fait . Dans les bureaux d'Europole, où je suis
arrivé il y a maintenant un an, toutes les sections sont
installées autour d'un puits de lumière. C'est ce qu'a
expliqué le grand manitou suédois quand j'ai été
invité à visiter. Bien sûr le puits de lumière
est souvent gris, il est mesquin de dire qu'à Lyon le temps
est couvert. Ici il fait gris.
- Bon, chef qu'est ce que je peux pour vous en cette
veille de fin de semaine si chargée ?
- Tu peux remplir une mission qui va faire de la
publicité à notre division.
La division, celle de la criminalité organisée
d'origine étrangère, c'est ici, nous y sommes, tout le
monde descend.
Elle comporte en tout et pour tout dix personnes: le
chef, les quatre clowns qui s'occupent des affaires criminelles dans
les pays slaves, moi, qui m'occupe des criminels qui parlent toutes
les langues possibles à l'est de la Méditerranée
et les quatre secrétaires, assistantes, bonnes à tout
faire, psychologues à leurs heures, qui elles, heureusement,
parlent le français. Je suis fier de savoir que je dirige une
section. La section appelée pompeusement « Criminalité
Etrangère d'origine asiatique » .Nous sommes deux
: Anja, mon hypocondriaque assistante polonaise et moi. En avant, la
section.Quand il me parle de mission, je dois faire attention et
rester laconique si je ne veux pas me retrouver à...
-Oui, Aït Ouali, c'est l'ambassade du Japon qui
me demande si je peux te prêter sur une affaire que le
Ministère de l'Intérieur japonais n'arrive pas à
résoudre. Ils ont entendu dire qu'il y avait un flic français
qui parle l'arabe et le japonais.
Il a souligné le « et ».
Il fait bien. C'est pour ça que j'ai pu être
séléctionné parmi mes collègues pour
entrer à Europole, mon rêve depuis l'école de
police de Bordeaux. Si toutes mes études en langue ne
m'avaient servies à rien, je pouvais continuer à jouer
les chasseurs de mômes dans l'Ariane, à Nice. Je parle
et j'écris plusieurs langues européennes et
asiatiques. Sans être une grosse tête en linguistique,
ni en anthropologie, je suis capable de repérer à
l'oreille un Chinois clandestin du Shanxi habillé comme un
lord d'un Vietnamien malpropre, propriétaire d'un restaurant
chinois sur les Brotteaux qui ressemble à un péquenot
juste sorti de sa cambrousse.
- Et l'ambassadeur de France au Japon a un service à
rendre à ses amis japonais et la seule personne qui puisse le
lui rendre c'est moi, exact ?
- Exact. C'est un « mèl »
comme signe le correspondant qui est net, clair précis, tu
dois être là bas lundi après midi au plus tard,
tu as la semaine pour résoudre un rébus, c'est écrit
en toutes lettres, et tu rentres. En plus tu es totalement, il a
souligné et mis le mot en gras, pris en charge par notre très
aimé Ministère des Affaires Etrangères. Ce qui
veut dire que notre très pauvre organisation européenne
peut se priver de tes services pendant une semaine, parce que si tu
te souviens, tu n'es que détaché ici.
Comment il dit ça. Il a quelque chose à me
reprocher.
- Avez vous quelque chose à me reprocher chef
- Non, du tout, le même M. Guillaudeau, celui qui
écrit, ajoute que pendant la semaine que tu passes là
bas, tu vas percevoir une indemnité compensatrice du préjudice
subi pour absence de ton poste et percevoir un salaire de « cadre
A + » international. Ce qui fait que si je calcule bien tu
vas reçevoir...
- Chef, vous êtes mesquin. Est ce que je ne vais
pas me fendre et vous ramener de quoi vous faire oublier cet affront,
hein ? Comme la dernière fois quand je suis allé en
Chine ?
- Bien sûr, de là bas tu nous a ramené
entre autres: deux cas sèveres de grippe aviaire, un tas de
tracas à propos d'entrées clandestines auprès
des délégations chinoises en Europe et l'annulation
d'une commande Airbus par dessus le marché. Nous avoir offert
à tous des vestes chinoises en soie ouatinée faites à
partir des machines de Rhodia, fabriquées à Lyon dans
la fin des années 40, qui ne savent sortir que de la rayonne,
tu pouvais sans doute mieux faire.
- Ici, chef, même à Lyon, je suis
spécialiste des langues asiatiques, pas expert en textile.
- Allez prenez vos affaires, et alez y. Vous me raconterez.
A tout hasard, je vous 'informe qu'il y a huit heures de décalage
avec Lyon en ce moment. Essayez de vous en souvenir. J'aime dormir
tranquille.
- Pas de "vous" entre nous chef, allons, bien sûr, chef, allez à lundi, chef.
Il apprécie toujours la politesse le chef. Qu'est ce qu'ils ont là-bas, un rébus ?